En Albanie, la vendetta encore appliquée dans le nord
En Albanie, la vendetta encore appliquée dans le nord
En Albanie, la vendetta encore appliquée dans le nord
Entre confinement interminable et coutume réinterprétée, des familles isolées
Entre confinement interminable et coutume réinterprétée, des familles isolées
La perle des Balkans fascine autant les touristes qu’elle inquiète certains autochtones. Pour cause, la vendetta s’applique encore dans certaines régions de l’Albanie… mais est de moins en moins courante grâce aux investissements de l’État et au renforcement de la loi. Les explications à travers ce reportage de Maud Calvès dans Transversales.
Œil pour œil, dent pour dent. C’est une tradition qui remonte au XVe siècle et qui est encore ancrée dans certaines régions de l’Albanie. Certains textes du kanun, un droit coutumier du Moyen-Age, sont encore appliqués dans le nord du pays. Le plus connu et le plus craint est le code de l’honneur. Il stipule que "le sang doit être vengé par le sang" : en cas de meurtre, la famille de la victime a le droit de sauver son honneur en tuant à son tour un membre de la famille de l’assassin.
Seul le meurtre de sa cible à son domicile est interdit. Les familles sur lesquelles la menace de la vengeance plane n’ont d’autre choix que de vivre dans un confinement sans fin. Un cercle vicieux infernal, mais un phénomène de plus en plus rare.
Un confinement interminable
Dans les régions reculées des montagnes albanaises, il est difficile de recueillir des témoignages de ces familles qui se terrent à l’abri des regards. Celle de Marc, prénom d’emprunt, est enfermée chez elle depuis 20 ans. Avant sa naissance, son père a tué quelqu’un. Il y a trois ans, c’est son cousin qui a fait couler le sang d’une autre famille. La crainte d’une vengeance est donc toujours vive. "Tous ses amis peuvent sortir, avoir une vie normale et pas lui. Il y a toujours une chance qu’il se fasse hacker, que quelqu’un ait son adresse mail, lise ses messages, comprenne où il est et où il vit. Il y a beaucoup de risques d’être retrouvé. Il passe la grande partie de ses journées à dormir. Parfois il joue sur sa tablette et regarde la télé" raconte la traductrice du reportage, enregistrée à la place de Marc et de sa maman, pour éviter toute fuite d’information compromettante.
En 1ère année de lycée, il suit ses cours à distance et ne peut prendre l’air que dans son jardin. Il sort trois fois par an, accompagné par la police, pour passer ses examens. Une trêve peut toutefois être demandée entre les deux familles rivales, la 'besa'. Un pacte d’honneur dans lequel la famille de la victime s’engage à ne pas tuer pendant un certain temps, voire une période indéterminée. Pour celle de Marc, malgré les différents appels au calme, elle n’a pas été entendue. Si le texte original du kanun renseigne que les femmes et les enfants du tueur ne sont pas des cibles potentielles, plusieurs exemples ont déjà prouvé le contraire.
Un fardeau psychologique et économique
Psychologiquement, la situation est très difficile à surmonter pour les mères, qui vivent dans la peur incessante d’une vendetta, combinée à la charge mentale des tâches ménagères. Le recours à un psychologue est possible, mais pas sans risque. Les conséquences économiques pèsent aussi sur la famille. Obligée de ne pas travailler pour éviter toutes représailles, la famille, comme celle de Marc, bascule dans la pauvreté.
Elona Prroj a aussi vécu cette situation en 2010. Pendant trois ans, elle était la seule à prendre le risque de sortir du foyer pour faire ses courses après le meurtre d’une personne par l’oncle de son mari. Un jour, ce dernier, pasteur, censé être protégé par les lois du texte, a voulu braver le danger. Il a fait promettre à sa famille de ne pas se venger s’il venait à mourir. Quelques jours plus tard, il est abattu par balles dans les rues de Shkodër. Après ce tragique assassinat, elle a créé une association pour transmettre le pardon : elle mélange les enfants des deux familles dans des cours de soutien scolaire ainsi qu’un espace de parole et des cours de couture pour offrir des rentrées financières aux femmes. Elle a aussi écrit une thèse sur les conséquences post-traumatiques chez les femmes. À la pauvreté et au manque d’éducation, elle ajoute une troisième caractéristique : le manquement d’institutions sur ce code. "Donc si on travaille sur ces trois aspects, on combat indirectement les crimes d’honneur" pointe-t-elle.
Le kanun : d’une coutume bien établie à l’anarchie
Au Moyen-Age, chaque région d’Albanie possédait son propre texte, transmis oralement, qui régissait tous les aspects de la vie quotidienne. Celui du nord est plus imprégné car moins affecté par les invasions étrangères. Le phénomène se fait rare mais il perdure par endroits car certains citoyens albanais ont perdu foi en la Justice, suite à de nombreuses affaires de corruption qui ont éclaté après la fin du régime communiste. Il reste 'plus simple' pour ces personnes, de rendre justice soi-même.
D’après l’historien albanais Prelë Milani, ce texte ancestral a toutefois été instrumentalisé : "Après les années 90, ceux qui connaissaient le kanun sont morts. Les gens ont donc commencé à appliquer les règles selon leurs propres interprétations. Et la grande partie des crimes en Albanie ont été perpétrés en dehors du droit du kanun. Maintenant les gens disent : 'Tu as tué mon père, je vais anéantir toute ta tribu' ou alors 'N’envoie pas tes enfants à l’école', des choses qu’on n’aurait pas osé faire avant. Autrefois, si vous tuiez des enfants, les anciens du kanun avaient le droit de vous bannir de la tribu, de brûler votre maison et de vous interdire l’accès au village. Personne ne te permettait d’entrer dans cette tribu car tu apportais la honte en tuant un enfant. Avant les années 90, la loi du kanun et celles sous le communisme signifiaient que les gens ne pouvaient pas utiliser ces lois sous leurs propres intérêts"
Un phénomène qui s’estompe depuis quelques années
D’après les derniers chiffres sur ces crimes pour l’honneur, récoltés en 2018 grâce à une collaboration entre la police, la compagnie gouvernementale de distribution d’électricité et certaines ONG, environ 600 familles de régions du nord seraient encore impactées par le kanun. Un chiffre qu’il faut relativiser : toutes ne vivent pas isolées. La vendetta sert aussi encore de menace mais peu de personnes passent à l’acte.
Parmi les raisons de ce ralentissement, un durcissement de la loi pour les meurtres pour sauver l’honneur selon en 2013. Les meurtriers peuvent désormais écoper de 30 ans de prison ou encourir la perpétuité. D’après l’ancien commissaire du district de Shkodër, depuis 2014, aucune nouvelle famille n’apparaît sur le référentiel de la police qui recensait toutes les familles, tant du côté victime que du côté meurtrier. "Plusieurs problèmes ont été réglés, ce qui a permis d’éradiquer ce phénomène. L’un d’eux est l’importance que l’état lui a donnée. Ce n’est plus une loi suivie par les gens. Plusieurs associations ont aidé ces personnes impliquées dans la vendetta à sortir de cette situation. L’augmentation de la peine de prison pour les meurtriers en raison de la vendetta a aussi aidé. Et puis l’autre explication est que la police est désormais plus présente sur le territoire. les gens des communautés du nord ont aussi migré : il y a eu beaucoup de mouvements depuis la démocratie donc ces personnes ne restent plus dans les montagnes, ce qui aide aussi à passer outre. Enfin, le nord a reçu plus d’aides pour améliorer la vie sur place (NDLR : du travail à domicile est rendu possible pour les femmes isolées, les enfants peuvent suivre des cours sur tablettes,…) Ces dernières années, la région est en croissance, ce qui a un impact aussi sur la réduction du nombre de crimes".
Toutefois, quand ce cas arrive, les conséquences, on l’a vu, sont dévastatrices.
La perle des Balkans fascine autant les touristes qu’elle inquiète certains autochtones. Pour cause, la vendetta s’applique encore dans certaines régions de l’Albanie… mais est de moins en moins courante grâce aux investissements de l’État et au renforcement de la loi. Les explications à travers ce reportage de Maud Calvès dans Transversales.
Œil pour œil, dent pour dent. C’est une tradition qui remonte au XVe siècle et qui est encore ancrée dans certaines régions de l’Albanie. Certains textes du kanun, un droit coutumier du Moyen-Age, sont encore appliqués dans le nord du pays. Le plus connu et le plus craint est le code de l’honneur. Il stipule que "le sang doit être vengé par le sang" : en cas de meurtre, la famille de la victime a le droit de sauver son honneur en tuant à son tour un membre de la famille de l’assassin.
Seul le meurtre de sa cible à son domicile est interdit. Les familles sur lesquelles la menace de la vengeance plane n’ont d’autre choix que de vivre dans un confinement sans fin. Un cercle vicieux infernal, mais un phénomène de plus en plus rare.
Un confinement interminable
Dans les régions reculées des montagnes albanaises, il est difficile de recueillir des témoignages de ces familles qui se terrent à l’abri des regards. Celle de Marc, prénom d’emprunt, est enfermée chez elle depuis 20 ans. Avant sa naissance, son père a tué quelqu’un. Il y a trois ans, c’est son cousin qui a fait couler le sang d’une autre famille. La crainte d’une vengeance est donc toujours vive. "Tous ses amis peuvent sortir, avoir une vie normale et pas lui. Il y a toujours une chance qu’il se fasse hacker, que quelqu’un ait son adresse mail, lise ses messages, comprenne où il est et où il vit. Il y a beaucoup de risques d’être retrouvé. Il passe la grande partie de ses journées à dormir. Parfois il joue sur sa tablette et regarde la télé" raconte la traductrice du reportage, enregistrée à la place de Marc et de sa maman, pour éviter toute fuite d’information compromettante.
En 1ère année de lycée, il suit ses cours à distance et ne peut prendre l’air que dans son jardin. Il sort trois fois par an, accompagné par la police, pour passer ses examens. Une trêve peut toutefois être demandée entre les deux familles rivales, la 'besa'. Un pacte d’honneur dans lequel la famille de la victime s’engage à ne pas tuer pendant un certain temps, voire une période indéterminée. Pour celle de Marc, malgré les différents appels au calme, elle n’a pas été entendue. Si le texte original du kanun renseigne que les femmes et les enfants du tueur ne sont pas des cibles potentielles, plusieurs exemples ont déjà prouvé le contraire.
Un fardeau psychologique et économique
Psychologiquement, la situation est très difficile à surmonter pour les mères, qui vivent dans la peur incessante d’une vendetta, combinée à la charge mentale des tâches ménagères. Le recours à un psychologue est possible, mais pas sans risque. Les conséquences économiques pèsent aussi sur la famille. Obligée de ne pas travailler pour éviter toutes représailles, la famille, comme celle de Marc, bascule dans la pauvreté.
Elona Prroj a aussi vécu cette situation en 2010. Pendant trois ans, elle était la seule à prendre le risque de sortir du foyer pour faire ses courses après le meurtre d’une personne par l’oncle de son mari. Un jour, ce dernier, pasteur, censé être protégé par les lois du texte, a voulu braver le danger. Il a fait promettre à sa famille de ne pas se venger s’il venait à mourir. Quelques jours plus tard, il est abattu par balles dans les rues de Shkodër. Après ce tragique assassinat, elle a créé une association pour transmettre le pardon : elle mélange les enfants des deux familles dans des cours de soutien scolaire ainsi qu’un espace de parole et des cours de couture pour offrir des rentrées financières aux femmes. Elle a aussi écrit une thèse sur les conséquences post-traumatiques chez les femmes. À la pauvreté et au manque d’éducation, elle ajoute une troisième caractéristique : le manquement d’institutions sur ce code. "Donc si on travaille sur ces trois aspects, on combat indirectement les crimes d’honneur" pointe-t-elle.
Le kanun : d’une coutume bien établie à l’anarchie
Au Moyen-Age, chaque région d’Albanie possédait son propre texte, transmis oralement, qui régissait tous les aspects de la vie quotidienne. Celui du nord est plus imprégné car moins affecté par les invasions étrangères. Le phénomène se fait rare mais il perdure par endroits car certains citoyens albanais ont perdu foi en la Justice, suite à de nombreuses affaires de corruption qui ont éclaté après la fin du régime communiste. Il reste 'plus simple' pour ces personnes, de rendre justice soi-même.
D’après l’historien albanais Prelë Milani, ce texte ancestral a toutefois été instrumentalisé : "Après les années 90, ceux qui connaissaient le kanun sont morts. Les gens ont donc commencé à appliquer les règles selon leurs propres interprétations. Et la grande partie des crimes en Albanie ont été perpétrés en dehors du droit du kanun. Maintenant les gens disent : 'Tu as tué mon père, je vais anéantir toute ta tribu' ou alors 'N’envoie pas tes enfants à l’école', des choses qu’on n’aurait pas osé faire avant. Autrefois, si vous tuiez des enfants, les anciens du kanun avaient le droit de vous bannir de la tribu, de brûler votre maison et de vous interdire l’accès au village. Personne ne te permettait d’entrer dans cette tribu car tu apportais la honte en tuant un enfant. Avant les années 90, la loi du kanun et celles sous le communisme signifiaient que les gens ne pouvaient pas utiliser ces lois sous leurs propres intérêts"
Un phénomène qui s’estompe depuis quelques années
D’après les derniers chiffres sur ces crimes pour l’honneur, récoltés en 2018 grâce à une collaboration entre la police, la compagnie gouvernementale de distribution d’électricité et certaines ONG, environ 600 familles de régions du nord seraient encore impactées par le kanun. Un chiffre qu’il faut relativiser : toutes ne vivent pas isolées. La vendetta sert aussi encore de menace mais peu de personnes passent à l’acte.
Parmi les raisons de ce ralentissement, un durcissement de la loi pour les meurtres pour sauver l’honneur selon en 2013. Les meurtriers peuvent désormais écoper de 30 ans de prison ou encourir la perpétuité. D’après l’ancien commissaire du district de Shkodër, depuis 2014, aucune nouvelle famille n’apparaît sur le référentiel de la police qui recensait toutes les familles, tant du côté victime que du côté meurtrier. "Plusieurs problèmes ont été réglés, ce qui a permis d’éradiquer ce phénomène. L’un d’eux est l’importance que l’état lui a donnée. Ce n’est plus une loi suivie par les gens. Plusieurs associations ont aidé ces personnes impliquées dans la vendetta à sortir de cette situation. L’augmentation de la peine de prison pour les meurtriers en raison de la vendetta a aussi aidé. Et puis l’autre explication est que la police est désormais plus présente sur le territoire. les gens des communautés du nord ont aussi migré : il y a eu beaucoup de mouvements depuis la démocratie donc ces personnes ne restent plus dans les montagnes, ce qui aide aussi à passer outre. Enfin, le nord a reçu plus d’aides pour améliorer la vie sur place (NDLR : du travail à domicile est rendu possible pour les femmes isolées, les enfants peuvent suivre des cours sur tablettes,…) Ces dernières années, la région est en croissance, ce qui a un impact aussi sur la réduction du nombre de crimes".
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L'école à la maison
Liljana, une professeure, se déplace chez les familles confinées pour apporter un minimum d'éducation
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